Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

XV
Ben volgra, si Dieus o volgués

( Sirventes )
- 1226 -
( Sirventès )

I

Ben volgra, si Dieus o volgués,
Acsem cobrat Suría,
E-l pros emperaire agués
Cobrada Lombardía,
E-l valens coms, ducs e marqués
Agues sai cobrat Vivarés;
Qu'en aissi me plairía,
Que aitals voluntatz m'a prés
Que dels afars volría
So que dreitz és.

1

Je voudrais bien, si telle était aussi la volonté de Dieu ,
voir à nouveau la Syrie aux mains des nôtres,
la Lombardie soumise ,
par le preux empereur
et de notre côté, le Vivarais recouvré
par le vaillant comte, duc et marquis .
Cet état de choses me plairait assez,
car je suis habité du désir de voir le droit
appliqué en toutes affaires humaines.

II

Marseilla, Arles, Avinhós
Lai tengon una vía!
E Carpentras e Cavaillós
E Valensa e Día,
Vienna e-l Pupetz e-l Dromós
Ajon rei lo plus cabalós
Que d'aissi en Turquía
Porte caussas ni esperós:
Car si pro no-ilh tenía
En bada es prós.

2

Que Marseille, Arles et Avignon
marchent là-bas d'un même pas ;
Que Carpentras et Cavaillon,
Valence et Die,
Vienne et sa contrée
prennent pour roi le plus excellent
qui d'ici jusques en Turquie
porte chausses et éperons.
Car s'il n'en tirait avantage ,
c'est en vain qu'il serait preux!

III

Aissi cum val mais naus en mar
Que bus ni sagetía,
E val mais leos de senglar
E bels dons que fadía,
Val mais lo coms de autre bar;
Qu'ab tolre als fals et als fis dar
Sec de valor la vía,
E pueg'en pretz ses davalar,
E a la maïstría
De rics faitz far.

3

De même qu'en mer un bon navire vaut mieux
qu' une barque ou qu'un léger esquif .
De même qu'un lion est préférable à un sanglier
et un don gracieux à un refus,
ainsi le comte vaut plus qu'un autre baron :
car en retirant aux fourbes et en donnant aux fidèles,
il suit le chemin de la valeur,
il accroît son mérite sans s'abaisser
et est maître
des hauts faits à accomplir.

IV

Lo coms de Tolosa val tan,
Tan fai e tan embría
Que lunh home del mon non blan
Per mal, qui-s vuelha sía;
Aitals es com ieu lo deman:
Larcs, arditz, alegrez'aiman,
Francs, de bella paría,
Vertadiers, drechura gardan,
Leials e ses bausía,
Bels, gen parlan.

4

Le comte de Toulouse a tant de valeur,
il fait tant, et si bien,
qu'il ne flatte nul homme au monde, quel qu'il soit,
avec de perfides desseins.
Il est tel que je le désire:
large, hardi, aimant l'allégresse,
franc, de belle compagnie,
véridique, gardant la droiture,
loyal et sans tromperie,
beau, bien parlant.

V

A Toloza a tal Raymón
- lo comte que Dieus guía -
Qu'aissi com nais aiga de fón
Nais d'el cavalaría!
Car dels peiors homes que són
Se defen e de tot lo món,
Que Frances ni clerguía
Ni las autras gens no-lh an frón,
Mas als bons s'umilía
E-ls mals confón.

5

A Toulouse il y a un tel Raimon
- le comte que Dieu veuille toujours guider ! -
que tout comme l'eau sort de la fontaine,
de lui naît chevalerie,
car des pires hommes qui sont il se défend
et même du monde entier,
si bien que ni les Français ni le clergé
ni les autres gens ne peuvent lui tenir tête,
mais il s'incline devant les bons
et il défait les malfaisants.

VI

E pos sa valors tot afron,
Sobremonta tant sobre-l mon
La sia senhoría,
Que de comte-duc a renom,
Que-l noms o signifía,
Que ditz: rai-mon.

6

Et puisque sa valeur lui permet de tout affronter,
puisque tant au-dessus du monde s'élève sa seigneurie
(qui jouit du renom de comte-duc)
que son nom même l'indique puisqu'il veut dire:
"Rayon éclairant le Monde".


NOTES: Eloge (flatteur) de Raimon VII, ce sirventès est célèbre pour ses trois dernières strophes qui font le portrait du prince idéal, idéalisé en la personne du jeune comte. Le jeu de mots final est obtenu par coupure du mot donnant à chaque syllabe un sens propre (procédé assez fréquent chez les poètes de cette époque).

Un autre troubadour, très attaché lui aussi à la personne du comte Raimon VII, Guilhem Montanhagol, brossera également, mais en 1242, un portrait flatteur du comte (dans "Bel m'es quan d'armatz aug refrim"): < Coms de Tolza, on plus esprim / Los ricx, vos vey de pretz al cim, / E vuelh qu'aissi-m / Don Dieus s'amor / Cum part l'aussor / Vostre ricx pretz capduelha! > (Comte de Toulouse, plus j'examine les puissants, plus je vous vois au faîte de l'honneur, et je souhaite que Dieu m'accorde son amour, aussi vrai que votre noble valeur s'élève par-dessus la plus haute!)

Texte faisant partie des "Tròces causits" (voir Bibliographie)
 

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