Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

XVIII
L'afar del comte Guió

( Sirventes )
- après 1229 -
( Sirventès )

I

L'afar del comte Guió
E de la guerra del réy
E de Mauzac lo barréi,
Ai ben ausit cossi fó,
Mas encaras non aug dire
Per que nostre senescals,
Que tant es pros e cabals,
Laissa los morgues aussire
De Sant Chafre! ar m'en gic,
Car dreitz no i troba abric
Ab los laics ni ab los clérs,
Aissi-ls encaussa avérs.

1

L'affaire du comte Guy
et de la guerre que lui fit le roi
et aussi le pillage de Mozac,
j'ai bien entendu dire comment tout cela se passa;
par contre je n'ai encore entendu personne expliquer
pourquoi notre sénéchal,
qui est si preux et si juste,
laissa tuer les moines de Saint Chafre.
A présent j'évite ce monastère,
car le droit n'y trouve d'abri
ni avec les laïques ni avec les clercs,
tant ils sont préoccupés par les richesses.

II

Poders a tout la maizo
De Camalieiras ses drei,
E-l Monestier decazei
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Don l'abas es en consire
E-l covens, car deslials
Los gieta de lurs ostals
Ses razon que n'es a dire!
C'anc pos Santz Chafres moric
Hom tan lag non envazic
Lo Monestier ni-l dezers.
Gardas si's a Dieu plazers

2

La force a pris la maison de Chamalières
sans aucun droit
et ruiné le Monastier,
...
ce dont l'abbé est tourmenté,
ainsi que le couvent, car un déloyal
les a chassés hors de leurs maisons
sans aucun motif .
Jamais depuis la mort de saint Chafre,
personne n'avait envahi le Monastier d'une si ignoble façon,
ni ne l'avait rabaissé à ce point:
Jugez combien cela doit plaire à Dieu !

III

En luec de processio
Iram sarrat et estrei,
Armat al caut et al frei,
Trompan en luec de trinho.
Mas feunía m'en fai rire,
Quar la mainada reials
Degra ben esser aitals
Que tolgues aquel martire.
Quar qui non ten dreg del ric
Ja no-l tengua del mendic:
Que dreitz non es mas volers
Can l'entortezis avers.

3

Au lieu d'aller en procession,
les moines iront serrés et pressés,
armés, par temps chaud ou par temps froid,
sonnant de la trompette en guise de carillon.
Mais c'est l'amertume qui me fait persifler,
parce que tout de même, les troupes du roi
auraient bien dû empêcher ce ravage.
Celui qui ne maintient pas le droit du riche,
ne maintiendra jamais celui du pauvre
car le droit devient arbitraire
quand l'appât du gain le fausse.

IV

Trabuc ni gran capairo
No-y valran ni lait aplei,
Ni-l regla sant Benezei,
Mas ausberc e gambaizo!
E silh que solíon dire
Las pistolas els missals
Trairan peiras reversals,
E lai on eron sautire
Trevaran massas e pic,
E qui anc se revestic
Esti' armatz e aders
Si vol esser morgues vers.

4

Ni bottes ni grands chaperons
ne seront utiles ici , pas plus que les mauvais outils,
ni la règle de Saint Benoît,
mais bien hauberts et pourpoints.
Ceux qui d'habitude récitaient
les épîtres dans les missels
lanceront des pierres contre leurs adversaires,
et là où étaient des psautiers
on entendra le tumulte des masses d'armes et des pics.
Celui qui prit l'habit un jour,
qu'il soit en armes et tout équipé
s'il veut être un moine véritable.

V

Encar veira hom sazo
Que-l segles non aura lei,
E clerc iran a tornei
E femnas faran sermo
Et hom non aura que frire
Si non es forts deslials!
E qui er trachers ni fals
Sera maïstres e sire,
E can Dieus aura amic
Non trobara on se fic:
Aissi er lo mons aders
Que per tot er non-devers

5

Alors on verra un temps
où le monde n'aura plus de loi.
Les clercs iront au tournoi
et les femmes feront le sermon,
et l'on ne trouvera rien à faire
à moins d'être fort déloyal.
Quiconque sera traître et faux
sera maître et sire,
et l'ami de Dieu ne trouvera à qui se fier.
Le monde sera ainsi arrangé
que l'iniquité sera universelle.

VI

Nostre clergue solon dire
Que raubar autrui ostals
Era peccatz criminals
E il an raubat sant Gire
E dizon en lur prezic
Que hom am son enemic,
Mas a nos mostra vezers
Qu'en lur es autres volers.

6

Nos clercs avaient coutume de dire
que piller la demeure d'autrui
était un péché criminel;
ce sont pourtant des cercs qui ont pillé Saint Gilles.
Ils disent aussi dans leurs sermons
que l'on doit aimer son ennemi,
mais il est aisé de voir
que tout autre est leur volonté .


NOTES: Après un rappel d'une "affaire" antérieure (Gui II d'Auvergne ayant détruit l'abbaye royale de Mozac eut à subir les représailles de Philippe-Auguste) ce sirventès reproche à "notre sénéchal" et aux troupes du roi de n'avoir pas empêché le pillage (par des "laïques" et des "clercs") de la maison religieuse de Chamalières et du monastère principal de qui elle relève, ce qui préoccupe fort l'abbé et ses moines, ainsi que P.C. qui voit à juste titre dans ce coup de force un nouveau recul du Droit.
le comte Guy = le comte d'Auvergne Gui II * le roi = Philippe-Auguste * Mozac (à côté de Riom, en Basse-Auvergne) * Saint-Chafre: l'abbé fondateur du monastère * Chamalières= il s'agit du prieuré de bénédictins de St-Gilles fondé en 950 à Chamalières-sur-Loire (à 30 km du Puy) * le Monastier = (le monastère ) aujourd'hui Le Monastier-sur-Gazeille en Haute-Loire *
 
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