Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

XLVII
Clergía non valc anc mais tan

(Sirventes. )
- vers 1240 -
( Sirventès )

I

Clergía non valc anc mais tan:
Qu'ill solon anar prezicant,
Mas eras van peiras lansan
A l'autra gén,
E tenon per pus publican
Sel que-s defén.

1

Les clercs n'eurent jamais autant de valeur :
autrefois, ils se contentaient de prêcher,
mais aujourd'hui ils vont, lançant des pierres
aux autres gens,
et ils tiennent pour un fieffé hérétique
celui qui ne fait que se défendre.

II

Cavalier solíon jostar,
Ar an meillurat lur afar:
De mentir e de-s perjurar
Se son garnit,
E so que solíon donar
Porton vestit.

2

Les chevaliers avaient coutume de jouter,
aujourd'hui ils ont amélioré leur besogne :
mentir et se parjurer
est devenu leur occupation,
et les habits que d'habitude ils donnaient
ils les gardent pour eux.

III

Domneis es meilluratz molt fòrt:
Qu'el donava az home la mòrt
Anz qu'en agues joi' ni depòrt
Ni fos volgutz;
Ez ar, sol que deniers apòrt,
Mais er que drutz.

3

Le service des dames s'est énormément amélioré,
car il donnait la mort à un homme
avant d'en obtenir joie ou agrément,
avant même d'être simplement désiré;
aujourd'hui, pourvu qu'il apporte de l'argent
il sera le plus galant des hommes.

IV

Vilan non solon aver sen
Mas de laborar solamen;
Ar son vezïat e saben
E jaubardel
Ez, en plaich, enan sagramen
Queron libèl.

4

Les vilains, d'ordinaire, étaient sans grand bon sens,
sauf pour travailler la terre.
Aujourd'hui ils sont habiles, savants
et fort dégourdis.
Dans la moindre affaire, avant de conclure
ils réclament un contrat.

V

Ieu non sai de neguna léi,
De totas quantas vistas n'éi
Qu'ab baratas ez ab buféi
Lo mais non an,
E non get de negun endréi
Petit ni gran.

5

Je ne connais aucune loi ,
parmi toutes celles que j'ai pu voir,
qui ne soit escortée
de son lot de tromperies et de vaines paroles.
Mais aucune qui n'exclut d'une part de son bien
le petit ou le grand.

VI

Mas be sapcha chascun qu'eu creí
Que mil aitan
Grazis Deus faitz, quan son corteï,
Que malestan.

6

Mais que chacun le sache bien,
je crois que Dieu approuve mille fois plus
les actes courtois
que ceux qui sont inconvenants.


NOTES: La strophe 1 fait assez clairement référence à la Croisade contre les Albigeois. Les autres strophes décrivent les changements en train de se produire à grande vitesse dans une société déliquescente.
 
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